Assange, nouvel Ulysse ?

par | 20 décembre 2022 | Culture

De tous les grands guerriers que la Grèce a engendrés, Ulysse fut certainement le plus rusé, le plus intelligent, le plus madré, le plus roublard aussi. C’est lui, nous dit Homère, dans L’Illiade, qui concocta le stratagème du « cheval de Troie », que chacun connaît et qui a mis fin à dix ans de siège de la mythique ville. Encore aujourd’hui, les informaticiens craignent les chevaux de Troie (Trojan horses), ces logiciels malveillants qui abordent les systèmes d’une façon pacifique pour mieux les saborder. N’ayons pas peur des mots ni des anachronismes : Ulysse fut le premier hacker de l’Histoire. Mais ce genre de carrière ne dure pas très longtemps. Le jour vient nécessairement où un dieu prend contre vous son arrêt définitif et vous condamne au pire. Au demeurant, c’est ce qui est arrivé à notre bon Ulysse : il éborgne un cyclope, fils de Poséidon, et ce dernier devient très colère. Le dieu des mers envoie alors Ulysse se faire voir, non pas chez les Grecs comme c’était assez courant de le faire à l’époque, mais d’île en île, de tempête en tempête, de vague en vague, de port en port, vingt ans durant. Et cela constitue le point de départ de toute L’Odyssée, d’Homère.

Un « Forum théâtral » dédié à Julian Assange

Cela étant, comment peut-on, au Théâtre National de Strasbourg (TNS), qui est une belle et grande maison, où l’on honore de manières diverses le répertoire comme la création contemporaine, accomplir le moindre rapprochement entre Ulysse et Julian Assange, jusqu’à produire un « Forum théâtral » intitulé Assange Odysseia,, proposé par Sarah Datoussaid et Sarah Siré. Il n’y a évidemment, en apparence, rien de commun entre le personnage mythologique d’Homère et l’instigateur de WikiLeaks. En apparence, seulement. Car le théâtre (comme la littérature ou comme la poésie) est ce lieu privilégié où l’on s’intéresse toujours à tout autre chose qu’aux apparences. « L’objet du théâtre, ce sont les passions humaines. Rien d’autre », disait Philippe Lacoue-Labarthe. Rien de ce qui est humain n’est étranger au théâtre.

Et le risque est fort pour que cette Assange Odysseia, pari audacieux, soit un pari réussi. Parce qu’au-delà des siècles, au-delà de la différence substantielle entre un héros mythologique et l’un de nos contemporains sur lequel pèse une légère peine de 175 années de réclusion (la justice américaine ne fait jamais dans la demi-mesure), il reste une nature humaine qui passe les siècles et fabrique, pour chaque époque, de nouveaux héros. Ulysse et Assange sont rusés et intelligents. Ils furent tous deux des hackers. Ulysse a dû fuir la vindicte de Poséidon. Après les révélations de WikiLeaks, Assange fut contraint de se mettre à l’abri de l’Administration américaine qui, républicaine autant que démocrate, n’a jamais lâché le morceau – on aurait aimé voir le président Biden suspendre les poursuites.

Mais une malédiction supplémentaire s’est abattue sur Julian Assange : la tempête de Poséidon, celle qui se déchaîne en permanence depuis quelques années, dans les réseaux sociaux, dans les chaînes d’information en continu et qui submerge en trente secondes une information la remplaçant aussitôt par une autre.

Un espace de débats et de confrontations

Qui, aujourd’hui, s’intéresse encore à Julian Assange ?… Personne. Où s’y intéresse-t-on ? Nulle part.

Sauf au théâtre, évidemment. Parce que le théâtre (comme la littérature, comme la poésie) demeure le seul moyen de pouvoir faire une pause dans la succession d’images, d’informations et de nouvelles qui nous noient (malédiction toujours de Poséidon, que le divin Homère a placé sur nos petites têtes !), pour ouvrir un espace de débats et de confrontations.

Ouvrons donc le débat ! Quelques-uns ont d’ores et déjà annoncé leur participation ferme et définitive : Rafael Correa, Baltasar Garzón, Jennifer Robinson, Nancy Hollander, Amnesty International, Geoffroy de Lagasnerie, Wikileaks, Françoise Tulkens, Julien Pieret, Marie-Laurence Hébert-Dolbec, Milo Rau, la FIJ, Stephania Maurizi, Denis Robert, Diane Bernard. Les Strasbourgeois seront heureux de revoir, à cette occasion, Françoise Tulkens, qui fut longtemps juge belge à la Cour européenne des droits de l’Homme. D’autres noms de participants devraient suivre. C’est certain : les débats seront riches. On y passera la nuit. Nous vous tiendrons au courant.

Au TNS, le 24 janvier 2023.

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