François Galichet : « Liberté pour chacun de finir sa vie comme il l’entend ! »

par | 3 mars 2023 | Culture

David, La Mort de Socrate

La fin de vie en débat. Philosophe, professeur honoraire à l’Université de Strasbourg, François Galichet a publié Qu’est-ce qu’une vie accomplie ? (éditions Odile Jacob). Il débattra le 11 mars à Nancy avec Denis Labayle, médecin. Il répond aux questions de s-mags.fr sur la fin de vie et le suicide assisté.

Le débat est actuellement en cours sur la fin de vie. L’ancien ministre de la Santé, Olivier Véran, vient d’assurer qu’une loi serait très certainement votée. Qu’attendez-vous de cette future loi ?
François Galichet.
J’espère qu’elle reconnaîtra enfin la liberté pour chacun de finir sa vie comme il l’entend. Depuis la Révolution française le suicide était une affaire privée : les suicidés n’étaient plus pénalement condamnés, mais ils devaient trouver eux-mêmes le moyen de quitter la vie : pendaison, arme à feu, se jeter du haut d’une falaise, etc. – donc le plus souvent d’une façon violente et traumatisante pour l’entourage.
Deux choses ont changé la donne. D’abord, les progrès de la médecine permettent de prolonger la vie même dans des conditions pénibles et dégradées : ce qui accroit la demande de mourir sans subir cet acharnement thérapeutique. D’autre part, cette même médecine offre désormais la possibilité de mourir sereinement, sans douleur ni violence : le pentobarbital. Dès lors le suicide n’est plus une question privée. Si la société permet de disposer du moyen de quitter la vie en douceur, il est légitime qu’en retour elle ait un droit de regard sur l’opportunité d’accorder cette aide. Le suicide est un droit absolu, qu’on ne saurait discuter ; en revanche l’aide au suicide est un droit conditionnel, soumis à des critères que seule la loi peut préciser. J’attends de la future loi qu’elle précise ces critères, et notamment les modalités de l’accompagnement des personnes qui demandent l’aide.

La loi Léonetti, qui développait les soins palliatifs et autorisait la sédation profonde, n’était-elle pas suffisante ?
François Galichet.
Non, absolument pas. La loi Léonetti permet seulement une sédation profonde et continue, sous condition d’un pronostic létal à brève échéance. On se contente d’endormir la personne et on attend son décès, sans l’alimenter ni l’hydrater. Cela peut prendre plusieurs semaines avant qu’elle ne meure. Vous rendez-vous compte de ce que cela signifie ? Pour elle d’abord : qu’elle soit inconsciente ne signifie pas qu’elle ne souffre pas, notamment de la soif. Pour ses proches ensuite : quel supplice de devoir attendre sa fin sans pouvoir lui parler, la réconforter, lui témoigner son amour ! C’est d’une cruauté sans nom.
Il est infiniment plus humain de permettre à la personne qui le souhaite de pouvoir dire adieu à ses proches avant de quitter la vie en quelques minutes, dignement et tranquillement. C’est ce que j’ai vécu plusieurs fois avec les personnes que j’ai accompagnées.

Une question hautement philosophique au philosophe que vous êtes : est-on réellement détenteur de sa propre vie, au point de pouvoir décider quand celle-ci doit finir ?
François Galichet.
C’est là une vieille question, qui est notamment agitée par les religions. Pour elles, la vie est un don de Dieu ; on n’a pas le droit d’en disposer. Dans mon livre Mourir délibérément, j’appelle cela le mythe de la passivité essentielle de la mort : on le trouve chez des philosophes comme Spinoza, Kant, Hegel, Levinas.
Mais l’argument peut se retourner. Si Dieu nous a créés libres, il ne peut pas nous avoir créés libres à moitié. Si la vie est un don de Dieu, alors il nous la confie entièrement, comme tout don. Un don restreint, qui exclut certains usages, n’est pas un vrai don. Que penserait-on de quelqu’un qui offrirait un cadeau de grand prix – par exemple un tableau de maître – et dirait à son destinataire : « Je te le donne, mais à condition que tu ne t’en sépares jamais, que tu le gardes toujours par-devers toi » ? En sorte que si, des années plus tard, celui-ci voulait le donner à un musée pour que tout le monde en profite, ou le vendre pour payer une opération coûteuse à son enfant, le donateur s’y opposerait ? On jugerait sans doute que son don n’est pas un vrai don, et qu’il est plutôt inspiré par la satisfaction égoïste de faire du donataire son obligé. Un vrai don est oblatif, sans retour ni restriction. Celui qui donne renonce à l’objet donné et le confie au donataire ; il lui fait confiance pour en faire le meilleur usage.
C’est pourquoi la conception de la vie comme « don de Dieu » justifie en réalité la légitimité de la mort réfléchie. Parce que le don que nous fait Dieu de notre vie est un vrai don, un don absolu, il porte sur notre vie entière, y compris sa fin. Il nous fait confiance jusqu’au bout et sans restriction. À nous de nous en rendre dignes, en ne quittant pas la vie sur un coup de tête, mais après une longue et rigoureuse délibération avec nous-mêmes et avec d’autres. Il est aussi absurde d’affirmer que nous n’avons pas le droit de disposer de notre vie que de prétendre que nous n’aurions pas le droit de nous marier librement ou de décider d’avoir des enfants ou non. La liberté ne se partage pas. Elle est entière ou elle n’est pas. Prétendre la limiter en excluant la mort de son champ, c’est la dénaturer, et finalement refuser la responsabilité qu’elle implique. C’est une lâcheté.

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