Petite histoire de la carte de vœux

Petite histoire de la carte de vœux

Qu’elles soient réelles ou virtuelles, les cartes de vœux affluent dans nos boîtes, dès le début du mois de décembre jusqu’à la fin du mois de janvier. Pourtant, l’origine de cette charmante tradition n’est pas formellement établie et les historiens se disputent encore à son sujet. Il faut les voir se réunir chaque 31 décembre et, vers 21 heures, sitôt le septième apéritif avalé, commencer à se chamailler sur cette question de première importance. Certains en sont venus aux mains.

Cette agitation a trop longtemps duré. Elle a déchiré trop de familles. Fait trop de victimes. Voilà pourquoi notre rédaction n’a reculé, cette année, devant aucun effort pour mener l’enquête et faire le point sur la situation. Panorama des origines les plus probables de la fameuse « carte de vœux ».

1. La quarte d’Evreux

Nous sommes au XIVe siècle, précisément le 8 janvier 1354, en Normandie, à Evreux. Sur les coups de 17 h 37. La guerre de Cent Ans fait rage, mais personne ne sait encore que c’est la guerre de Cent Ans. Règne alors dans le duché normand, allié à l’Angleterre, Charles II de Navarre, qui est passé à la postérité sous le sobriquet assez largement mérité de « Charles le Mauvais ». Non pas qu’il sentait mauvais. Se lavant tous les six mois, il avait une hygiène assez irréprochable pour l’époque. Mais le moral ne suivait franchement pas le corporel. Il arrive donc un jour que Charles d’Espagne, Connétable de France, passe la nuit dans les parages, à l’auberge de « La Truie qui file », dans la petite commune de L’Aigle. C’est là que les hommes de Charles II l’assassinent, à l’épée, après une parade de quarte. Aussitôt, dans les alentours, chacun prend évidemment sa plume pour annoncer à tous ceux qu’il connaît la mort tragique du Connétable de France, victime de la « quarte d’Evreux ». De là, les historiens qui soutiennent cette hypothèse voient la première occurence de la « quarte d’Evreux » qu’on écrit nécessairement début janvier à tous ceux que l’on connaît.

2. Le kart de neveu

Paris, 25 décembre 1655. Le duc d’Orléans, Gaston de France, offre à son neveu Philippe un kart Praga KZ 175. Avec sa motorisation IAME 175 CC, sa boîte 6 vitesses et ses 49 chevaux, l’engin présente un couple et une puissance inégalés. C’est tellement vrai que le gamin bousille le cadeau dès le 1er janvier 1656. Il le fait alors porté à son oncle qui s’exclame devant l’amas de tôle froissée : « Cette année commence bien avec ce kart de neveu ! » La mode était lancée et, dans les grandes familles françaises, on se mit à s’envoyer des karts de neveux chaque 1er janvier.

3. Les Cars Tedeveux

Lorsqu’en septembre 1914, le gouvernement réquisitionna les taxis parisiens pour convoyer les soldats dans la Marne, Georges-Marie Tedeveux exploitait une petite entreprise de transports : la société des Cars Tedeveux. Il se rendit immédiatement chez le général Gallieni pour informer ce dernier qu’il mettait sa flotte d’autobus à disposition des autorités. Malheureusement, si Georges-Marie Tedeveux était un patriote zélé, il n’en restait pas moins un peu tête en l’air : il mit plus de quatre mois à mettre la main sur les clés de son garage, avant de s’apercevoir que celui-ci était grand ouvert. Début janvier 1915, il convoya lui-même ses autobus dans la Marne, oubliant au passage d’embarquer le moindre soldat. La France prit alors l’habitude d’envoyer des Cars Tedeveux un peu partout au mois de janvier.

4. Les cartes de vœux

Elle s’échange à chaque nouvelle année. On y met des mots simples : le bonheur, la réussite et la santé. Et c’est tout ce que la rédaction de s-mags.fr vous souhaite pour 2023. Bonne et heureuse année !

Christstollen

Christstollen

Demain, c’est Noël. Une fois n’est pas coutume, vous ne tenez pas la permanence téléphonique de SOS Détresse Amitié, mais vous allez réveillonner chez votre voisin du dessus, M. Preskovitch. Or, vous ne savez pas quoi apporter à cet homme de goût. Vous hésitez. De succulents doubitchous faits à la main puisque roulés sous les aisselles ou encore un délicieux kloug au cacao de synthèse – il connaît, il a tout ? Essayez donc de réaliser un authentique Stollen : c’est fin et ça se mange sans fin !

Qu’il s’appelle Stollen, Christstollen ou Weihnachtstollen, ce gâteau nous vient assurément d’Allemagne et son origine se perd dans la nuit des temps. C’est un gâteau à pâte levée, parsemé de fruits secs, de fruits confits et d’épices. Il en existe de nombreuses variantes et chaque famille en possède sa recette propre.

Ingrédients

500 g de farine
100 g de sucre
200 ml de lait demi-écrémé
30 g de levure de boulanger
100 g de beurre à température ambiante
200 g de raisins secs (sultanines)
50 g d’amandes
50 g de noisettes
50 g d’oranges et de citrons confits
30 cl de rhum

Préparation

1. Faire macérer dans le rhum les fruits confits et les raisins secs toute une nuit. Si vous êtes pressé par le temps, faites chauffer le rhum et trempez-y les fruits pendant une heure. Concassez amandes et noisettes.

2. Faites un levain rapide. Dans un bol, émiettez votre cube de levure boulangère (ou votre levure sèche) dans un peu de lait tiède, un peu de farine et un peu de sucre. Donnez 10 petites minutes à ce mélange pour qu’il commence à s’activer.

3. Mélanger le sucre, la farine, le lait et la levure dans un récipient.

4. La pâte commence à se décoller ? C’est le signe que vous pouvez y ajouter peu à peu les morceaux de beurre.

5. Un peu d’activité physique ne nuit jamais : pétrissez la pâte, malaxez-la, tout en chantant à tue-tête Les Mains d’une femme dans la farine de Claude Nougaro.

6. Si vos voisins n’ont pas alerté la police et que nous n’avez pas été placé encore en garde-à-vue pour tapage sonore, ajoutez à votre belle petite pâte les fruits macérés dans le rhum ainsi que les fruits secs.

7. Il vous reste certainement un peu de rhum ? Vous avez deux heures pour finir la bouteille. Ça tombe bien : c’est le temps qu’il faudra à votre pâte pour se reposer à température ambiante.

8. Couper votre pâte en deux pâtons de taille plus ou moins égale. Façonner chacun d’eux en forme de rouleau (Stollen en allemand signifie « rouleau »). Placer ces deux rouleaux sur une plaque à pâtisserie et laissez-les se développer pendant trois heures.

9. Vous avez préchauffé votre four à 180°C (thermostat 6) ? Parfait ! Enfournez vos deux Stollen pendant une heure. Ils vous en remercieront.

10. Sortez vos Stollen du four et, en tâchant de ne pas vous brûler, placez-les sur une volette. Ne sont-ils pas beaux et appétissants ? Ils le seront encore davantage si vous ne vous arrêtez pas en si bon chemin. À l’aide d’un pinceau de cuisine, badigeonnez généreusement vos gâteaux encore chauds de beurre fondu et saupoudrez-les encore plus généreusement de sucre glace.

Variantes

Pour un Stollen plus épicé : ajoutez à l’étape 3 un soupçon de cannelle, de badiane, de gingembre, de vanille ou encore de cardamome en poudre. Evitez toutefois le poivre, le cumin ou le curry.

Casse-Noisette : vous pouvez légèrement faire torréfier dans une poêle vos amandes et vos noisettes concassées. Vous pouvez également varier les plaisirs et ajouter à ces fruits secs des noix, des pistaches, des pignons de pin, etc.

Pour un Stollen plus fruité : dans certaines villes allemandes, le Stollen ressemble à une vraie Cassata sicilienne ! Rien ne vous interdit donc d’ajouter à votre recette des fruits confits comme l’angélique, la cerise, le cédrat, la clémentine, le kumquat et même le gingembre. Essayez aussi d’intégrer des fruits secs non confits : abricot, figue, etc.

Pour un Stollen au massepain : à l’étape 8, étendez votre pâton sur votre plan de travail en vous aidant d’un rouleau à pâtisserie, placez de la pâte d’amande à l’extrémité supérieure de la pâte étalée et roulez vers vous le pâton pour y enfermer la pâte d’amande.

En bref

Le Stollen est aimant. Il est tolérant. C’est vous qui déciderez, avec vos propres goûts et votre propre expérience, ce qu’il sera. Tous les Stollen sont différents, mais tous sont égaux en droit et en dignité. Tentez l’aventure et impressionnez, demain soir, M. Preskovitch !

Entre le bœuf et l’âne gris

Entre le bœuf et l’âne gris

Une crèche n’est pas simplement la réunion de la Sainte-Famille autour d’un heureux événement. La Nativité n’est rien sans le bœuf et l’âne, qui ont beaucoup de choses à nous dire.

La crèche que nous connaissons remonte à saint François d’Assise. Le soir de Noël 1223, il organise à Greccio, petit village du Latium, la première crèche vivante de l’histoire. François est allé en pèlerinage à Jérusalem, il a été marqué par sa visite à Bethléem. A Greccio, il veut offrir aux Italiens un Bethléem « grandeur nature », loin des dangers et des périls d’une Terre Sainte sous domination ottomane. Il veut surtout incarner l’Incarnation, c’est-à-dire rendre plus sensible aux yeux des chrétiens ce que célèbre Noël : Dieu s’est fait homme.

La Crèche, incarnation de l’Incarnation

Toute la théologie de François d’Assise tient, au fond, dans la crèche, incarnation de l’Incarnation, comme elle tient également dans les stigmates dont il sera marqué, signes de sa passion de la Passion. Les redondances syntaxiques traduisent ici une surabondance théologique.

À Greccio, François choisit une grotte pour y célébrer la messe de Noël. Des villageois y interprètent les personnages de la crèche. On place même un bébé dans la mangeoire. Pour parachever le tout, on fait venir un bœuf et un âne aussi. Pourquoi cette présence animale dans la crèche ? Nulle part, elle n’est mentionnée dans l’évangile de Luc, qui constitue pourtant le récit le plus complet de la Nativité. Certains historiens avancent que c’est là pure invention de saint François, dont chacun connaît l’affection qu’il porte à la Création et à toutes les créatures. Plus « scrupuleux », d’autres vont chercher l’explication dans l’évangile du pseudo-Mathieu, apocryphe du VIe siècle : « Marie entra dans l’étable, elle mit son enfant dans la crèche, et le bœuf et l’âne l’adorèrent. » Evidemment, tout cela est bien attrayant et correspond assez parfaitement à la perspective franciscaine. Mais un petit détail nous chiffonne. Personne n’a attendu le XIIIe siècle pour inclure un bœuf et un âne dans les représentations de la Nativité. Depuis très longtemps, les deux animaux figurent presque partout, jusqu’à devenir indissociables de Noël. Mieux encore : on les retrouve sur des sarcophages du IVe siècle – deux cents ans avant que l’évangile du pseudo-Mathieu ne soit rédigé…

Au IVe siècle, le bœuf et l’âne sont déjà là

Conservé au Museo Nazionale de Rome, le sarcophage de Marcus Claudianus (notre illustration) représente la vie de Jésus. Il figure d’une manière assez particulière la Nativité : un enfant couché dans une mangeoire et veillé par un âne et un bœuf. À Milan, dans la basilique Saint-Ambroise, le sarcophage de Stilicon (IVe siècle) est encore plus parlant : tous les autres personnages de la Nativité ont disparu, seuls sont représentés pour la figurer un enfant emmailloté dans une mangeoire, un bœuf et un âne. Il suffit donc au IVe siècle de représenter un nouveau-né et les deux animaux pour que chacun comprenne immédiatement la signification de la scène.

Nous pouvons en déduire que, dans l’Eglise des premiers siècles, le bœuf et l’âne ne sont pas des éléments accessoires de la Nativité : ils y jouent un rôle considérable. Ils doivent même occuper, dans la pastorale, une place centrale. Or, nous rencontrons ici un léger problème : les évangiles canoniques ne mentionnent absolument pas les deux animaux. D’où tire-t-on, au IVe siècle, cette référence ? Elle provient d’Isaïe : « Le bœuf connaît son propriétaire, et l’âne l’étable de son maître, mais Israël ne la connaît pas, mon peuple ne comprend pas. » (Is., I,3.)

Les chrétiens du Ier siècle entendent l’évangéliste Luc leur dire : « Marie enfanta son fils premier-né, elle l’emmaillota et le coucha dans une crèche. » (Luc, 2,7.) La crèche (phatnê, en grec ; praesepium, en latin), c’est la mangeoire, l’auge et, par synecdoque, l’étable. Ils vont donc rechercher dans les Ecritures tous les éléments qui anticipent, annoncent et justifient le récit de l’évangéliste. Il s’agit d’ancrer le Nouveau Testament dans l’Ancien, quitte à inverser la méthode midrashique en faisant de Jésus le point vers lequel tout converge. Et bingo ! le texte d’Isaïe est là. C’est bien le prophète Isaïe qui tient la lisière du bœuf et de l’âne, et fait rentrer les deux animaux dans la crèche.

Deux animaux pour une théologie pas si bête

La première fonction de ces deux figures animales est, donc, de montrer l’accomplissement que représente la Nativité : la naissance du Christ était annoncé par les Ecritures.

Bêtes de somme, le bœuf et l’âne vont se charger d’autres significations au cours de l’histoire. Les Pères de l’Eglise ne seront pas en reste pour alourdir le bât. Au IVe siècle, Grégoire de Nysse écrit : « Le Bœuf, c’est le Juif enchaîné par la Loi ; l’Âne, porteur des lourds fardeaux, c’est celui que chargeait le poids de l’idolâtrie. » Dans les mêmes années, Ambroise de Milan consacre l’âne comme une représentation des païens. Il précise que la seule réalité historique de la crèche, c’est l’enfant qui vient de naître : le bœuf et l’âne ne sont que des allégories. « Tu entends, écrit-il, les cris de l’enfant, mais tu n’entends pas les beuglements du bœuf. »

Accomplissement de la première Alliance et signes que le Christ est venu pour sauver les Juifs aussi bien que les Gentils : voilà ce que nous disent l’âne et le bœuf. Leur présence n’indique pas simplement l’étable, dans laquelle on les trouve naturellement. Elle nous enseigne que Noël est destiné à tous. Voilà, du moins, ce que comprenait le chrétien des premiers siècles, qui avait fait du bœuf et de l’âne les figures centrales de la Nativité.

Assange, nouvel Ulysse ?

Assange, nouvel Ulysse ?

De tous les grands guerriers que la Grèce a engendrés, Ulysse fut certainement le plus rusé, le plus intelligent, le plus madré, le plus roublard aussi. C’est lui, nous dit Homère, dans L’Illiade, qui concocta le stratagème du « cheval de Troie », que chacun connaît et qui a mis fin à dix ans de siège de la mythique ville. Encore aujourd’hui, les informaticiens craignent les chevaux de Troie (Trojan horses), ces logiciels malveillants qui abordent les systèmes d’une façon pacifique pour mieux les saborder. N’ayons pas peur des mots ni des anachronismes : Ulysse fut le premier hacker de l’Histoire. Mais ce genre de carrière ne dure pas très longtemps. Le jour vient nécessairement où un dieu prend contre vous son arrêt définitif et vous condamne au pire. Au demeurant, c’est ce qui est arrivé à notre bon Ulysse : il éborgne un cyclope, fils de Poséidon, et ce dernier devient très colère. Le dieu des mers envoie alors Ulysse se faire voir, non pas chez les Grecs comme c’était assez courant de le faire à l’époque, mais d’île en île, de tempête en tempête, de vague en vague, de port en port, vingt ans durant. Et cela constitue le point de départ de toute L’Odyssée, d’Homère.

Un « Forum théâtral » dédié à Julian Assange

Cela étant, comment peut-on, au Théâtre National de Strasbourg (TNS), qui est une belle et grande maison, où l’on honore de manières diverses le répertoire comme la création contemporaine, accomplir le moindre rapprochement entre Ulysse et Julian Assange, jusqu’à produire un « Forum théâtral » intitulé Assange Odysseia,, proposé par Sarah Datoussaid et Sarah Siré. Il n’y a évidemment, en apparence, rien de commun entre le personnage mythologique d’Homère et l’instigateur de WikiLeaks. En apparence, seulement. Car le théâtre (comme la littérature ou comme la poésie) est ce lieu privilégié où l’on s’intéresse toujours à tout autre chose qu’aux apparences. « L’objet du théâtre, ce sont les passions humaines. Rien d’autre », disait Philippe Lacoue-Labarthe. Rien de ce qui est humain n’est étranger au théâtre.

Et le risque est fort pour que cette Assange Odysseia, pari audacieux, soit un pari réussi. Parce qu’au-delà des siècles, au-delà de la différence substantielle entre un héros mythologique et l’un de nos contemporains sur lequel pèse une légère peine de 175 années de réclusion (la justice américaine ne fait jamais dans la demi-mesure), il reste une nature humaine qui passe les siècles et fabrique, pour chaque époque, de nouveaux héros. Ulysse et Assange sont rusés et intelligents. Ils furent tous deux des hackers. Ulysse a dû fuir la vindicte de Poséidon. Après les révélations de WikiLeaks, Assange fut contraint de se mettre à l’abri de l’Administration américaine qui, républicaine autant que démocrate, n’a jamais lâché le morceau – on aurait aimé voir le président Biden suspendre les poursuites.

Mais une malédiction supplémentaire s’est abattue sur Julian Assange : la tempête de Poséidon, celle qui se déchaîne en permanence depuis quelques années, dans les réseaux sociaux, dans les chaînes d’information en continu et qui submerge en trente secondes une information la remplaçant aussitôt par une autre.

Un espace de débats et de confrontations

Qui, aujourd’hui, s’intéresse encore à Julian Assange ?… Personne. Où s’y intéresse-t-on ? Nulle part.

Sauf au théâtre, évidemment. Parce que le théâtre (comme la littérature, comme la poésie) demeure le seul moyen de pouvoir faire une pause dans la succession d’images, d’informations et de nouvelles qui nous noient (malédiction toujours de Poséidon, que le divin Homère a placé sur nos petites têtes !), pour ouvrir un espace de débats et de confrontations.

Ouvrons donc le débat ! Quelques-uns ont d’ores et déjà annoncé leur participation ferme et définitive : Rafael Correa, Baltasar Garzón, Jennifer Robinson, Nancy Hollander, Amnesty International, Geoffroy de Lagasnerie, Wikileaks, Françoise Tulkens, Julien Pieret, Marie-Laurence Hébert-Dolbec, Milo Rau, la FIJ, Stephania Maurizi, Denis Robert, Diane Bernard. Les Strasbourgeois seront heureux de revoir, à cette occasion, Françoise Tulkens, qui fut longtemps juge belge à la Cour européenne des droits de l’Homme. D’autres noms de participants devraient suivre. C’est certain : les débats seront riches. On y passera la nuit. Nous vous tiendrons au courant.

Au TNS, le 24 janvier 2023.

Noël. Jésus, un mystère ! Entretien avec Jean-Christian Petitfils

Noël. Jésus, un mystère ! Entretien avec Jean-Christian Petitfils

Historien, spécialiste du Grand Siècle et auteur de la biographie de référence de Louis XIV, Jean-Christophe Petitfils a publié, chez Fayard, une biographie du Christ, sobrement intitulée : Jésus. Le livre fait le point de la situation sur les recherches christologiques. Noël est un temps des plus propices pour revenir sur ces questions.

François Miclo. Les historiens n’ont-ils pas tout dit sur Jésus ? Pourquoi lui consacrer près de 600 nouvelles pages ?
Jean-Christian Petitfils. Tout a été dit, mais tout et son contraire. La synthèse des plus récentes découvertes en histoire, en philologie, en exégèse, en archéologie était devenue nécessaire pour reconstituer la vie aussi bien que le caractère de Jésus. Les données de l’archéologie biblique sont en constant renouvellement : on vient de découvrir, en novembre 2011, que le mur des Lamentations ne datait pas d’Hérode le Grand. On a découvert, en 2009, une maison au centre du village de Nazareth, alors que beaucoup d’historiens prétendaient jusqu’alors que Nazareth n’existait pas au Ier siècle. Il y a près de trente ans, j’ai entamé une démarche personnelle : je suis croyant, membre d’une religion incarnée, et j’ai voulu, en tant qu’historien, avoir davantage de précisions. Marc Bloch écrivait : “Le christianisme est une religion d’historiens.” J’ai voulu retrouver le Jésus de l’histoire. Mon livre s’adresse aux croyants comme aux incroyants et s’arrête devant le mystère. L’historien n’a pas à prendre parti quant à la réalité des exorcismes, des miracles et, a fortiori, de la résurrection. Renan, dont on va fêter le 150e anniversaire de sa Vie de Jésus, disait : “Si les miracles ont quelque réalité, mon livre n’est qu’un tissu d’erreurs.” C’est un présupposé scientiste et positiviste que de rejeter et de nier le mystère.

“Tout a été dit, mais tout et son contraire.” Comment expliquer un désaccord aussi persistant sur l’historicité de Jésus ? Les sources, en dehors des quatre évangiles, sont minces. Et quand Flavius Josèphe mentionne un certain Jésus, il est légitime de se demander si ce n’est pas un copiste chrétien qui l’aurait tardivement rajouté…
Ce n’est pas impossible qu’il y ait une interpolation chrétienne du texte de Flavius Josèphe, puisqu’on a retrouvé un texte d’Agapios de Manbij, évêque melchite du Xe siècle, qui nous donne une version plus condensée du Testimonium flavianum, dans laquelle ne figurent pas les éléments contestés. Au-delà, nous disposons d’écrits romains de Tacite, de Suétone ou encore d’une lettre datée de l’an 111 de Pline le Jeune disant que “les chrétiens chantent un hymne à “Chrestos” comme à un dieu”. Indépendamment de ce que nous racontent les évangiles et les lettres pauliniennes, on voit que, dès le début du IIe siècle, les chrétiens étaient réputés croire à la divinité de Jésus. Même Celse, philosophe grec du IIe siècle et adversaire très virulent du christianisme, ne remet pas en cause l’existence historique de Jésus. La contestation de cette historicité est, en réalité, une affaire très tardive et très chargée d’idéologie.

Pourquoi procéder à l’inverse de Jérôme Prieur et Gérard Mordillat, les auteurs de Corpus Christi, en mettant de côté Paul de Tarse et en vous concentrant sur l’évangile de Jean ?
Paul ne nous dit pratiquement rien, en dehors de la 1re Lettre aux Corinthiens, sur le Jésus de l’histoire. Il formule le kérygme, l’énoncé de la foi des premiers chrétiens. Il nous renseigne sur les débats avec les judéo-chrétiens et avec l’Eglise de Jérusalem. Prieur et Mordillat veulent un Jésus sans Eglise. Comme beaucoup aujourd’hui, ils se fabriquent leur propre Jésus. Or, pour l’historien, l’essentiel est ailleurs : les récits évangéliques, qui sont des récits de foi, contiennent-ils une vérité historique et quelle est cette vérité ? J’ai accordé la priorité historique à Jean alors que, d’habitude les historiens partent des évangiles synoptiques (Marc, Luc, Matthieu) et mettent Jean de côté : c’est un texte très symbolique et mystique, dont on ne devrait pas, nous disent-ils, tenir compte. Ce raisonnement me paraît faux. Le récit de Jean est celui d’un témoin oculaire, qu’il nous faut réévaluer par rapport aux trois autres qui, eux, n’ont jamais vu Jésus – même si à l’origine de notre Matthieu actuel se trouve un Matthieu araméen, probablement écrit par l’un des Douze, Lévi dit Matthieu, chef du bureau de péages de Capharnaüm. Les évangiles synoptiques présentent un certain voile par rapport à l’évangile de Jean. D’un point de vue strictement historique, ils me semblent moins fiables : ils résument, dans une optique catéchétique, la vie de Jésus en une seule année. Or, lorsqu’on lit l’évangile de Jean le ministère de Jésus s’étire sur trois ou quatre années. Ainsi nous montre-t-il plusieurs allées et venues, plusieurs discussions avec les autorités juives de Jérusalem ou les pharisiens. Ce sont autant de discussions que les synoptiques rassemblent dans le “procès juif” de Jésus. C’est, à mes yeux, un procès fictif. Jésus n’a pas comparu devant le Sanhédrin en séance plénière. D’ailleurs, tous les historiens du judaïsme l’écrivent depuis longtemps : jamais, au Ier siècle, le Sanhédrin ne se serait réuni au temps de Pessah…

Ouh, le blasphémateur que voilà ! Vous remettez en cause une vérité de la foi !
Non, ce n’est pas une vérité dogmatique. Ce qu’on appelle le “procès juif” de Jésus n’est qu’une présentation schématique des discussions qu’il a eues tout au long de son ministère et qui s’étendent, chez Jean, sur plusieurs chapitres. Les auteurs des synoptiques mettent en scène et rassemblent ces nombreux échanges en un seul récit. Du point de vue historique, ce récit a la même valeur que celui des Tentations : c’est, en quelque sorte, un midrash.

A midrash, midrash et demi : votre Jean me paraît demeurer bien symbolique…
Il a un mode de fonctionnement bien précis : il passe constamment de la réalité historique au mystère. Il assiste, par exemple, aux noces villageoises de Cana. Mais il les transforme en noces eschatologiques, ne nous renseignant ni sur le nom des mariés ni sur leur degré de parenté avec Jésus. Il fait des six jarres de vin le symbole de l’imperfection d’Israël (7 étant le nombre parfait). La tâche de l’historien est de retrouver le soubassement du texte, c’est-à-dire la part de réalité que contient le récit.

Pour autant, Jean se tait sur certains épisodes que les synoptiques développent…
Oui, c’est le cas de Gethsémani, où il reste très elliptique. Quant à la Passion, il ne se prend pas pour Mel Gibson et atténue volontairement les souffrances que Jésus endure lors de la flagellation et de la crucifixion : c’est que son intention n’est pas de sombrer dans le gore, mais de montrer la Croix glorieuse, c’est-à-dire le Christ sur son trône de majesté qui va juger le monde.

Comment séparer ici le bon grain de l’ivraie, la réalité historique de la portée symbolique du texte ?
C’est justement l’intérêt de mobiliser les dernières données mises à notre disposition par la recherche. L’abbé Pierre Courouble, grand spécialiste du grec ancien, a ainsi découvert, il y a quelques années, des latinismes dans deux phrases prononcées par Pilate et rapportées par Jean : “Quelle accusation portez-vous contre cet homme ?” et “Ce que j’ai écrit, je l’ai écrit”. La présence de latinismes dans ces deux phrases nous démontre que Jean était, sinon un témoin direct lorsque ces phrases ont été prononcées, du moins un rapporteur de première main. De même, Jean connaît le nom de la moindre servante des grands prêtres et le moindre arcane du Temple : cela accrédite l’idée qu’il appartiendrait à une famille sacerdotale de Jérusalem. Il est très certainement, comme nous l’indique Polycrate d’Ephèse au IIe siècle, membre de la haute aristocratie hiérosolymite. Il porte le petalum, la lame d’or des grands prêtres de cette époque. Il n’a vraisemblablement rien à voir avec Jean, fils de Zébédée et pécheur de son état…

Ouh là, là, moins vite : j’ai toujours eu du mal avec le nom des disciples…
Souvent, on réduit Jésus à son entourage immédiat des Douze, alors qu’il y avait une multitude de disciples allant et venant, au gré du temps et de leur occupation respective…

Sans compter ses frères et sœurs !
Jésus n’en a jamais eu !

Jacques Duquesne a le droit d’aimer les familles nombreuses, non ?
Oui, mais, dans son Marie, mère de Jésus, il confond frères et cousins. Il ignore notamment les travaux réalisés aux Etats-Unis aussi bien qu’en Europe et qui nous montrent que Jésus est “nazôréen” : c’est un groupe sémite issu de Mésopotamie qui est venu se réinstaller en Galilée et au-delà du Jourdain dans deux villages, dont Nazareth. Ils prétendent être descendants de David et porter, en leur sein, le messie qu’attend Israël…

Tout au long de sa prédication, Jésus semble tenir cette origine comme une vraie croix ! On l’interpelle dans la rue : “Eh toi, fils de David…” Il n’aime pas trop ça…
C’est qu’il ne veut surtout pas qu’on le confonde avec un messie temporel ! Il vit en un temps où il y a déjà eu beaucoup de messies temporels qui se sont révoltés contre l’occupation romaine. C’est le cas de Judas le Galiléen, qui avait fomenté une insurrection, en l’an 6. En représailles, les Romains avaient alors incendié et détruit la ville de Sephoris, située juste à côté de Nazareth. Âgé de douze ou treize ans, Jésus a très certainement aperçu la fumée s’élever au loin et les deux mille croix érigées le long des chemins. Il ne veut pas ça. Et il essaie de rompre avec cette origine qui lui pèse.

Mais comment ! Jésus avait douze ou treize ans en l’an 6 après Lui-même ?
Oui, tout indique qu’il soit né en l’an -7.

Destruction de villes, incendies, crucifixions : c’est une période violente ?
C’est une période d’attente, d’impatience, d’aspiration messianique. Mais c’est une période de relative accalmie : elle succède aux temps troublés qui ont suivi la mort d’Hérode et la déposition de son fils aîné Archélaos. “Sub Tibero quies” (sous Tibère tout était calme), dit laconiquement Tacite. Mais tout était calme, avant l’explosion. Du temps de Jésus, il n’y avait pas de zélotes ni de sicaires. Et quand on parle de Simon le Zélote, l’un des Douze, il s’agit d’un zèle dans la foi : ce n’était pas un révolutionnaire…

Ah mince ! Moi qui croyais que Jésus préfigurait la venue sur la Terre de Stéphane Hessel ! Il n’était donc pas un indigné ?
Non seulement, il n’y a pas de message politique chez Jésus, mais en plus il refusait la politique et le social. Pour la foi chrétienne, le Christ n’est pas le premier des indignés, mais le premier des ressuscités – ce qui est, convenez-en, un peu différent. Certes, il y a bien eu des tentatives de récupération politique du message de Jésus : ce fut le cas avec la théologie de la libération. Or, il ne fait, par exemple, aucune sorte d’allusion à l’esclavage. Jésus n’est pas Spartacus !

Jésus n’était pas Spartacus, mais vous nous apprenez qu’il aurait pu jouer dans un péplum… Ce n’était pas le gringalet aux épaules tombantes du film de Rossellini, mais un beau et solide gaillard !
Mon point de vue se fonde sur les reliques de la Passion. Là se pose le problème de leur authenticité. Longtemps, elle a été sujette à caution. Que ce soit le linceul de Turin, le suaire d’Oviedo ou la tunique d’Argenteuil, les plus récentes découvertes scientifiques invalident ce que nous tenions pour acquis. Ainsi les analyses au carbone 14 menées sur la relique de Turin en 1988 sont aujourd’hui remises en cause. Les incendies qui ont affecté la relique au long des siècles ont causé notamment une forte pollution au carbone. D’autres éléments, comme la détection des pollens, les inscriptions sur le linceul et sur le suaire ou encore la méthode de tissage employée plaident en faveur d’une datation de ces trois reliques au Ier siècle et les situent au Proche Orient. Rajoutez à cela que les tâches de sang et d’humeurs présentes sur les trois reliques se superposent parfaitement et qu’elles correspondent au même groupe sanguin : elles ne sont plus simplement des objets de piété pour le croyant, mais des documents d’étude pour l’historien. Jusqu’à preuve du contraire, elles le renseignent sur l’aspect physique de Jésus et, à travers les épanchements dont elles portent la trace, sur ce que fut sa crucifixion, sa descente de la croix mais également sa mise au tombeau.

Vous publiez ce livre à un moment où la figure de Jésus fait irruption dans le débat public à travers des œuvres comme Piss Christ ou Golgota picnic. Comment expliquer cette focalisation particulière dans une société pourtant largement déchristianisée ?
Ce sont des oeuvres qui probablement ne resteront pas dans l’histoire : ce sont des épiphénomènes. Paradoxalement, elles montrent, au-delà même du dénigrement ou du sacrilège, que la personne de Jésus ne laisse pas indifférents nos contemporains et continue de fasciner. Moi ce qui m’apparaît important, en tant qu’historien, c’est de découvrir la vérité exacte : qui était Jésus vraiment ? Se ressentait-il être le messie d’Israël ? Pensait-il être lui-même le “Fils de Dieu” ou est-ce un sentiment qu’on lui a attribué ultérieurement ? Pourquoi a-t-il été crucifié ? Quels sont les responsables de cette crucifixion ? Voilà des points d’interrogation auxquels j’ai voulu répondre, en faisant abstraction de toutes les œuvres d’art postérieures, critiques ou non, et même des enseignements dogmatiques.

Mais Jésus ne fut-il pas, aux yeux du milieu juif dans lequel il évoluait et notamment des pharisiens, le plus grand blasphémateur de l’histoire ?
Jésus est un provocateur, notamment lorsqu’il guérit un jour de sabbat. C’était un simple artisan de Nazareth et un nazoréen, toujours suspect puisque se prétendant descendre de David. Il n’avait pas suivi l’enseignement des grands rabbins comme Hillel ou Gamliel. Pourtant, il va jusqu’à mettre en cause l’enseignement de Moïse ! “Moïse vous a dit de faire cela, moi je vous dis de faire ceci.” Au nom de quoi, peut-il prétendre cela ? Quand il appelle Dieu “abba” (en araméen, papa), ce n’est pas simplement l’emploi très déférent du mot “père” que font les juifs. Jésus prétend avoir une relation filiale et unique avec Dieu. C’est là où, en tant qu’historien, je dois m’arrêter : je ne peux pas aller au-delà.

C’est plus que de la provoc’. Quand il dit, par exemple, à sa mère, aux noces de Canna ce que l’on pourrait traduire par : “T’es qui toi ?”, cela révèle une violence inouïe dans une société où l’on doit, comme l’exige le Décalogue, “honorer son père et sa mère”.
Oui, il y a une violence prophétique chez Jésus. Elle se manifeste également à l’encontre de villages entiers contre lesquels il jette l’anathème : c’est le cas de Capharnaüm. Le souffle prophétique d’Israël continue à s’exprimer en lui.

Y a-t-il du nouveau à découvrir sur Jésus ?
Oui. Je suis parti d’hypothèses. Si l’on en pose d’autres, on pourra arriver à des résultats différents. La recherche et nos connaissances évoluent. En France, le dernier livre qui poursuivait l’objectif de synthétiser l’état le plus récent des connaissances sur Jésus remonte à celui de Daniel Rops, dont la première édition a paru en 1947, c’est-à-dire avant les découvertes de Qumran et des manuscrits de la mer Morte. Le livre que j’ai voulu faire correspond à une étape, un état des lieux de ce que la science met aujourd’hui à notre disposition pour appréhender le Jésus de l’histoire. Il y en aura très certainement d’autres.

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