C’est, avec Le Lac d’argent, un chef-d’œuvre rare et à vrai dire inclassable que met à l’affiche l’Opéra national de Lorraine : un petit bijou d’humour noir et de théâtre de l’absurde qui, sous l’apparence d’une improbable fable, sut mieux qu’aucun autre saisir l’esprit d’une époque empoisonnée.
Le Lac d’argent
Der Silbersee
Opéra de Kurt Weill
Livret Georg Kaiser
Créé à Leipzig, Magdebourg et Erfurt, le 18 février 1933
Orchestre et Chœur de l’Opéra national de Lorraine
Direction musicale Gaetano Lo Coco
Mise en scène, scénographie Ersan Mondtag
Reprise de la mise en scène Fanny Gilbert-Collet
Chef de chœur Guillaume Fauchère
Avec Joël Terrin, Benny Claessens, James Kryshak, Ava Dodd/Anne-Élodie Sorlin,
Nicola Beller Carbone, Inna Jeskova, Séverine Maquaire, Benjamin Colin, Wook Kang, Yong Kim, Ill Ju Lee, Yanis Bouferrache
Production Opera Ballet Vlaanderen – Coproduction Opéra national de Lorraine
En français et en allemand, surtitré
Parce qu’il a volé un ananas pour nourrir les siens, le prolétaire Severin est blessé par un coup de feu de l’agent Olim. Pour racheter sa conscience, ce dernier l’invite au château du lac d’argent qu’il a remporté à la loterie. Malgré les tentatives de la gouvernante d’attiser leur haine, les deux hommes se nouent d’amitié. Le lac gèle, esquissant un possible chemin vers la lumière. Mais dans l’ombre, Hitler a entamé sa résistible ascension…
Le Lac d’argent connut le destin de Cassandre : créé en 1933 juste après l’arrivée des nazis au pouvoir, il fut interdit à sa seizième représentation. Quelques semaines plus tard, Kurt Weill s’exilait aux États-Unis. Qualifiée par le régime de “batard musical” (ce qui apparaît rétrospectivement comme un compliment), l’œuvre est à mi-chemin entre l’opéra et le cabaret. La musique terriblement inventive et entraînante en diable revisite librement des formes telles que la cantate, la chanson, la ballade ou l’oratorio : près d’un siècle plus tard, elle nous arrache des larmes de rire et d’effroi.
«Le Lac d’argent relève d’une esthétique de la résistance qui constitue l’une des lignes de force de notre saison. Lorsque le passé empoisonne le présent, lorsque la montée des fascismes nous rappelle les heures les plus sombres de notre Histoire, des artistes entrent en lutte. C’étaient hier Kurt Weill ou le compositeur tchèque Pavel Haas, mort à Auschwitz. C’est aujourd’hui l’Ukrainienne Victoria Poleva, dont l’œuvre prend – dans le contexte actuel – un sens politique». Matthieu Dussouillez, Directeur général de l’Opéra national de Lorraine (L’Opéra national de Lorraine a programmé en mars dernier des œuvres de ces compositeurs dans son concert «Résistance».)
Il fallait un metteur en scène à la hauteur de cette pièce déjantée et Ersan Mondtag, nouvelle coqueluche du théâtre allemand, ne démérite pas. À grands coups de décors spectaculaires et de costumes exubérants, il électrise cette pièce et lui redonne sa brûlante actualité dans une Europe en proie au retour des nationalismes.
La réussite époustouflante de cette production – prix de la meilleure coproduction européenne par le Syndicat français de la critique – doit beaucoup au comédien Benny Claessens qui la porte tambour battant. Véritable bête de scène, ce Flamand a fait ses armes en Belgique avant de devenir l’un des acteurs phares de la Kammerspiele de
Munich puis de la Schaubühne de Berlin. Lors de la Première à l’Opéra d’Anvers, on a été témoin de sa capacité à retourner la salle en une réplique.
Durée : 3 h avec entracte
15 h – Dimanche 14 avril
20 h – Mardi 16, jeudi 18 et samedi 20 avril
> Le quart d’heure pour comprendre
45 minutes avant le début du spectacle (gratuit, sur présentation du billet)
Opéra national de Lorraine – Nancy
Place Stanislas
opera-national-lorraine.fr
+33 (03) 83 85 33 11