Narrant l’histoire du cadet de l’auteur enlevé par son père – direction : la Syrie –, Moi, Fadi le frère volé est une série parallèle au best seller qu’est L’Arabe du futur (plus de 3 millions de ventes). Entretien avec Riad Sattouf, de passage à la Librairie Kléber de Strasbourg.
Quand est née l’idée de cet album ?
Riad Sattouf : Elle était présente avant de faire L’Arabe du futur [dont le premier tome est paru en 2014, NDLR] : mes retrouvailles avec mon frère, en 2011, ont généré l’envie – et la possibilité – de raconter son histoire. Mais je ne pouvais pas la réaliser immédiatement : il fallait que je finisse de raconter la mienne avant [rires]. J’ai toujours eu en tête l’absence de cet album, mais en sachant que j’allais le retrouver un jour. Il était le livre absent du frère fantôme, en quelque sorte…
Comment procéder pour écrire l’autobiographie d’un autre ?
J’ai fait ça très souvent dans mes bandes dessinées, comme Les Cahiers d’Esther, où une jeune fille me racontait son quotidien, ou Le jeune acteur. Cela me plait beaucoup de me mettre à la place d’un autre personnage et de tenter de voir le monde à travers lui.
Voir le monde à hauteur d’enfant (ou d’adolescent) est une constante dans vos histoires, depuis La Vie secrète des jeunes. Qu’est-ce qui vous intéresse là-dedans ?
Montrer le monde à hauteur d’enfant est une manière de le dédramatiser et de présenter les choses sans jugement : il y a quelque chose de naïf dans la vision des enfants, qui est plus sincère sur les êtres humains que celle des adultes, des anciens enfants conditionnés par la société.
Dans Moi, Fadi le frère volé, vous narrez une histoire terrible, celle d’un enfant enlevé par son père…
Il était indispensable de mettre de l’humour dans cette histoire dramatique afin de ramener de la légèreté, ce qui permet aussi de tendre l’histoire, de rendre les ressorts narratifs plus puissants.
Le livre se lit seul, indépendamment de la saga de L’Arabe du futur, mais il est un élément d’une “galaxie autobiographique”…
C’était une volonté, dès le départ : il doit être possible d’entrer dans cette histoire sans rien connaître de la mienne, mais j’aime en effet créer des livres qui s’insèrent dans une arborescence, créant un univers cohérent dont les éléments sont à la fois indépendants et interdépendants, à l’image de ce qu’a fait Tolkien avec Le Seigneur des anneaux, Le Silmarillion, Contes et légendes inachevés, etc. J’ai ainsi débuté une autre histoire parallèle, publiée dans le magazine Notre Temps depuis octobre, narrant l’existence de Clémentine, la mère de L’Arabe du futur, dans la France des Trente Glorieuses. Il s’agit d’une sorte d’archéologie familiale en bande dessinée [rires].
Pourquoi L’Arabe du futur n’est-il toujours pas traduit… en arabe ?
J’aimerais bien, mais il y a très peu d’éditeurs qui traduisent des bandes dessinées en langue arabe et ceux qui se sont intéressés à la série désiraient publier le premier tome, et voir si ça allait marcher ou pas. Je ne veux pas prendre ce risque et souhaite être assuré que tous les tomes soient traduits…
On vous sait fan des Inconnus – qui apparaissent sur une télévision, dans leur sketch Rap-tout, au coin d’une page de Moi, Fadi le frère volé. Où en est votre projet de film avec eux ?
Je travaille sur le scénario, on devrait tourner cette année, mais je compte garder le secret le plus longtemps possible sur le contenu du film.
Avec Les Livres du futur, vous avez lancé votre propre maison d’édition : pourquoi avoir pris cette option ?
Je l’ai créée pendant le confinement avec l’idée d’être encore plus indépendant que je ne l’étais : ce n’est pas du dépit par rapport à ceux avec qui je travaillais, mais l’envie d’avoir mon propre vaisseau spatial [rires]. Les livres sont ma passion : en éditer est une suite logique pour moi… Et cela me permettra de faire connaître, au coup de cœur, de jeunes autrices et auteurs, puisque je n’ai aucun programme prédéterminé.
Moi, Fadi le frère volé est paru aux Livres du futur (23 €)
riadsattouf.com