Alsace : tempête dans les bénitiers

par | 14 avril 2023 | Culture

Mgr Luc Ravel par Claude Truong-Ngoc

Rien ne va plus dans le diocèse d’Alsace. Une véritable crise agite l’institution millénaire. Elle est profonde. En cause : l’autoritarisme que ferait peser l’archevêque de Strasbourg, Mgr Luc Ravel, sur son clergé. Mais les choses sont plus compliquées. S-mags a mené l’enquête.

Une visite apostolique aux conclusions accablantes

Le 27 juin 2022, une « visite apostolique » débute dans l’archevêché de Strasbourg. Conduite par Mgr Stanislas Lalanne, évêque de Pontoise, cette « visite apostolique » est une procédure assez exceptionnelle dans la vie de l’Eglise. Ce n’est franchement pas une visite de courtoisie, mais plutôt un mixte entre la commission d’enquête et l’inspection générale des services. Elle a été diligentée par le pape François, qui reçoit depuis plusieurs mois des plaintes sur la façon dont Mgr Ravel assure la « gouvernance » de son diocèse.

Jusqu’au 14 juillet 2022, les visiteurs apostoliques mandatés par Rome auditionnent plus de trente personnes, prêtres et laïcs du diocèse de Strasbourg. Les témoignages que recueille Mgr Lalanne sont accablants et le rapport que l’évêque de Pontoise remet à Rome ne l’est pas moins. Sont notamment en cause la gestion pyramidale du diocèse, le peu de cas fait des agents pastoraux ou encore la remise de deux paroisses à une société de prêtres traditionalistes, les Missionnaires de la Miséricorde Divine.

Mgr Ravel refuse la position démissionnaire

Le rapport atterrit sur le bureau du pape François. Le Souverain Pontife est embarrassé. N’est-ce pas lui qui a choisi de nommer Mgr Ravel à l’archevêché de Strasbourg ? N’a-t-il pas, lui-même, commis une erreur d’appréciation manifeste en nommant dans cet archidiocèse si particulier un évêque qui n’avait pas de véritable expérience pastorale de terrain ?

François s’est trompé, François doit trancher. Il demande alors au cardinal Ouellet, préfet du Dicastère pour les évêques, la démission de Mgr Ravel. Fin 2022, l’archevêque de Strasbourg est convoqué à Rome. On lui signifie la volonté du souverain pontife.

Mais Mgr Ravel est bien décidé à refuser la position démissionnaire. Le Vatican s’agace du peu d’empressement de l’archevêque de Strasbourg à quitter ses fonctions. Un ultimatum lui est fixé à la fin février 2023. En bon fils de l’Eglise, Mgr Ravel obéit à l’injonction romaine, mais la lettre qu’il envoie est tellement « alambiquée » qu’elle n’est pas recevable comme démission.

Le pape en aurait assez de danser le boléro (de Ravel)

Rien ne filtre de l’actuel état d’esprit du pape, même si l’on peut pressentir qu’il est passablement exaspéré que l’archevêque de Strasbourg persiste à vouloir lui faire danser le boléro.

Au Dicastère pour les évêques, l’affaire strasbourgeoise est en pause : depuis le 12 avril, on est tout occupé à accueillir le successeur du cardinal Ouellet à la tête de l’institution.

Mais, selon certains vaticanistes bien informés, cela ne souffre plus aucun doute : Rome est bien décidée à sortir de « l’impasse Ravel ». Régler ce problème fera certainement partie des priorités de Robert Francis Prevost, archevêque américain et tout nouveau patron de la congrégation des évêques.

Que reproche-t-on à Mgr Ravel ?

Au juste, que reproche-t-on à Mgr Ravel ? Si le rapport de la visite apostolique n’a pas été rendu public (à l’exception de quelques éléments très généraux qui ont pu ressortir en « off »), les langues se délient dans le diocèse alsacien. Elles se délient d’autant plus après l’éviction brutale de Mgr Kratz, évêque auxiliaire depuis plus de vingt ans, du conseil épiscopal.

Ancien doyen de la faculté de théologie catholique de Strasbourg, le père Marcel Metzger frappe fort. Il parle d’une « erreur de casting » du Vatican et regrette que Mgr Ravel « fonctionne de manière militaire ».

Un prêtre mulhousien nous confie : « En consacrant ma vie au Seigneur, c’est son Église que j’ai voulu rejoindre, pas une caserne. » Un curé strasbourgeois précise l’analyse : « Nous n’avons jamais connu une telle situation avec un évêque, même du temps de Mgr Elchinger, qui avait la réputation d’être très autoritaire. Mais Mgr Elchinger avait beau vouloir décider de tout, il s’intéressait véritablement à ses prêtres. Chose dont on ne peut malheureusement pas suspecter Mgr Ravel… »

Les prêtres alsaciens que nous avons interrogés sont unanimes : Mgr Ravel est un intellectuel brillant, qui n’hésite jamais à voir très loin et même très haut. Il a une tendance assez prononcée à ne jamais écouter personne et à être convaincu d’avoir toujours raison de tout : c’est un défaut que l’archevêque de Strasbourg partage, assez communément, avec beaucoup de ses condisciples de Polytechnique. Mais ce qui heurte le cœur des prêtres alsaciens, c’est le sentiment que leur archevêque ne semble jamais prêter aucun intérêt à la pâte humaine que forment le clergé et les fidèles de son diocèse.

« Quand il n’est pas à Paris et qu’il daigne se rendre dans l’une ou l’autre de nos paroisses présider une fête patronale, nous dit un autre prêtre, il n’est pas rare de le voir partir sans saluer quiconque… »

« Mgr Ravel a toujours d’excellentes idées, nous rapporte un curé strasbourgeois. Il avait pris la décision que les confirmations des jeunes strasbourgeois se dérouleraient à la Cathédrale et qu’il les confirmerait lui-même. Malheureusement, le jour venu, il était retenu en dehors du diocèse. C’était une déception. »

« Lorsque pour le Jeudi Saint, je n’ai reçu aucun mot, aucun mail, aucun sms de mon évêque, nous confie un jeune prêtre assez traditionaliste du diocèse, je me suis dit : je crois vraiment que je n’existe pas. »

« C’est un homme qui a des jours avec et des jours sans, nous dit un autre prêtre strasbourgeois. Lorsque j’ai démissionné de mes fonctions diocésaines, j’ai envoyé à Mgr Ravel une lettre de trois pages, lui expliquant que le sujet sur lequel j’étais investi ne l’intéressait visiblement pas et que dès lors je devais lui remettre ma démission. Il m’a fait parvenir aussitôt une lettre très sèche : « Vous avez manqué de respect sur le fond et sur la forme à votre archevêque. » Mais, quelques jours après, Mgr Ravel me convoque pour un entretien. Nous passons deux heures très cordiales, très humaines et même très sympathiques à aborder ensemble plein de sujets. Et nous parlons d’égal à égal. »

Chez nos interlocuteurs, jamais aucune haine ni même aucune animosité envers Luc Ravel. Tout juste le sentiment d’être méprisé, ignoré, abandonné. Et c’est peut-être pire. Je demande à un prêtre : « Et s’il fallait se faire l’avocat du diable, comment défendre Mgr Ravel ? » Il me répond : « Il ne s’agit pas de le défendre, mais de l’aider. »

Le complexe obsidional

Au fil de l’enquête, une personnalité bien singulière se dessine. Un intellectuel catholique de haut vol, un visionnaire qui ne sait pas transformer ses grandes idées en actes concrets, un pasteur qui n’a pas l’art et la manière de guider son troupeau.

Car Luc Ravel a beaucoup de qualités. Elles sont énormes. Une seule lui fait défaut : il n’a pas le charisme de la pastorale – chose problématique, dès lors que le pape François redéfinit (c’était en février 2014) le rôle de l’évêque sur trois qualificatifs essentiels : kérigmatique, priant et pasteur. Luc Ravel coche les deux premières. Pas la troisième.

C’est qu’il y a, peut-être, chez cet homme (nous disons bien « peut-être ») comme une forme de timidité native et de réticence à aller vers les autres, d’isolement volontaire voire d’introversion.

Lorsque Mgr Ravel a été nommé archevêque de Strasbourg et qu’il a pris ses quartiers au 16 rue Brûlée, il n’a pas tardé à renvoyer le chauffeur, l’économe, la cuisinière. Souhaits d’économie et de pauvreté ? Certainement que oui. Mais isolement total. Dans le grand archidiocèse de Strasbourg, réputé très riche, mais qui chaque année, pourtant, accumule les déficits, au point où il faudra se résigner un jour à vendre les joyaux des Princes-Evêques, Luc Ravel s’est comporté en évêque Myriel, renouant avec le vœu multiséculaire de l’Église à la pauvreté. Qui pourrait le lui reprocher ? Et depuis, c’est la secrétaire de Mgr Ravel qui fait tout. Une sainte femme.

Dès son entrée en fonction, Mgr Ravel a cultivé l’isolement. Exemple. Une tradition fort établie était que l’évêque de Strasbourg célèbre, chaque matin, avant le petit-déjeuner, une messe dans la chapelle privée de l’évêché. Les évêques auxiliaires, les vicaires généraux, bref tous les prêtres qui habitent, vivent et forment la maisonnée épiscopale concélébraient chaque matin. Arrivant à Strasbourg, Mgr Ravel a fait cessé tout cela, préférant célébrer la messe tout seul ou avec sa secrétaire.

Un manque de charisme pastoral

Luc Ravel n’est franchement pas un méchant homme. C’est même un homme de bien. Seulement, il est évêque et il lui manque le charisme pastoral. C’est assez problématique. Excellent théoricien du « care » chrétien, il ne sait pas lui-même le mettre en œuvre dans son ministère quotidien. Rome trouvera tous les moyens ordinaires et extraordinaires pour sortir de cette crise.

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